L’évasion d’une jeune Juive vers l’Espagne
Inge (Berlin) Vogelstein avait 19 ans quand elle s'est évadée en Espagne en passant par les Pyrénées en avril 1943.
C’est en 1939 que j’ai échappé avec mon jeune frère à la persécution nazi en Allemagne sous le couvert d’un transport d’enfants vers la Belgique. Mais avec l’invasion allemande de 1940 nous étions une fois de plus sous l’emprise de Hitler. Pendant la progression de l’invasion, nous avons été évacués par trains de marchandises sous les bombardements vers le Sud de la France au hameau de Seyre en Haute Garonne. Nous étions un groupe d’environ 100 enfants entre 4 et 16 ans. Nous avons vécu à Seyre pendant environ 1 an dans des conditions extrèmement difficiles avant que la Croix Rouge Suisse n’en eu connaissance et nous transfera vers le Château de la Hille en Ariège près de Montégut Plantaurel.
Malgré les conditions de vie précaires, nous arrivions quand même petit à petit à un semblant d’organisation communautaire avant que le Sud de la France soit lui aussi occupé par les authorités allemandes. A partir de ce moment là, ceux d’entre nous qui avaient atteint l’âge de seize ans vivaient sous une menace permanente d’arrestation et de déportation.
Cela survint en 1942 : les plus agés d’entre nous furent arrétés et déportés vers le Camp du Vernet avec pour destination finale les camps de la mort en Europe de l’Est. Sous nos yeux, d’autres Juifs français et sûrement aussi d’autres minorités fûrent entassées comme du bétail dans des trains vers une destinée fatale.
Grâce aux efforts de la Croix Rouge Suisse, notre groupe a été autorisé à retourner vers la Hille.
Très vite, nous constations clairement que cela n’était qu’un court instant de répis pour nous. Nous n’étions plus arrétés en groupe mais individuellement à intervalles réguliers.C’est pourquoi, un certain nombre d’entre nous décidèrent de faire une tentative d’évasion, certains vers la Suisse, d’autres comme moi vers l’Espagne.
Nous étions cinq à partir vers les contreforts des Pyrénées. Après quelques temps deux d’entre nous ont décidé de retourner à la Hille. Il nous manquait tout pour mener à bien une pareille expédition : nous n’avions pas de chaussures et vêtements adaptés, même pas de boussole et très peu de nourriture. Nous devions retrouver un guide sauf erreur, c’était à St Girons. Mais cette personne n’était pas au rendez vous. Nous n’avions alors pas d’autre choix que de partir seuls vers les montagnes.
Avec tombée de la nuit et les pentes devenant de plus en plus raides, notre moral sombrait. Nous avons décidé de frapper à la porte d’une ferme isolée et demander la permission de dormir dans la grange pour la nuit. Une femme très gentille nous accorda l’asile et peu de temps après elle nous apporta une soupe chaude en bravant la pluie : un vrai cadeau de dieu.
La femme ne semblait pas surprise d’avoir des hôtes aussi étranges, elle semblait plutôt y être habituée. Elle n’a jamais demandé nos intentions. Pendant que nous nous revitalisions avec sa bonne soupe chaude, elle nous dis que nous n’avions aucune chance de traverser les Pyrénées sans un guide et que son fils était prêt à nous conduire jusqu’à un certain endroit à partir duquel il nous serait plus facile de continuer tout seuls. Ni elle ni son fils nous ne demanda rien en retour.
Tôt le matin, le jeune homme vint nous chercher à la grange et nous partimes ensemble. L’ascension était laborieuse mais cela ne m’a pas empéchée d’admirer la splendeur de la montagne au levée du jour, c’est une impréssion inoubliable que je n’aimerais pas avoir ratée. Après quelques heures d’extrèmes efforts, il s’arreta et nous indiqua la direction à prendre; puis il fit passer son béret où nous y déposâmes le maigre contenu de nos poches. Il était temps de nous séparer et nous le remerciâmes de tout notre coeur. Il retourna vers la France pendant que nous prenions la direction opposée.
Nous avons eu beaucoup de chance, nous n’avons pas rencontré de soldats sur le côté français. Les premiers Espagnols que nous rencontrâmes étaient un couple de bergers, ils vivaient complètement isolés quasiment dans une grotte. Malgré la barrière de la langue, ils nous ont offert l’hospitalité.Tout comme la femme de la grange, ils ne manifestaient aucune surprise de nous voir. Eux aussi semblaient d’être habitué à de tels visiteurs. Ils nous ont offert leur grenier de foin pour la nuit et nous n’avons jamais dormi aussi profondément.
Nous étions vraiment exténués. Ils ont très gracieusement partagé leur repas du soir avec nous qui consistait en une polenta et du lait de chèvre.
Peu de temps après un officier très poli de la patrouille espagnole vint nous arrêter et nous conduisit dans sa voiture officielle vers la ville la plus proche, Lerida, et nous délivra aux autorités.
Même si nous étions prisonniers, nous étions heureux et soulagés. Nous étions traités civilement et nous ne furent pas reconduits à la frontière.
Le frère d'Inge, Egon Berlin, resta en France et rejoigna la Résistance. Il est mort en combat près de Roquefixade à l'âge de 16 ans. Il fut enterré dans la cemetière de Pamiers.